Le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) polarise autant qu’il mobilise. Objectif jugé "pas net" par certains, qualifié de "naz" lorsqu’on le lit à l’envers, il fait couler beaucoup d’encre. Mais au-delà des critiques acerbes, une certitude émerge : le ZAN laissera une TRACE.
TRACE : acronyme qui désigne la proposition de loi déposée le 7 novembre au Sénat sur la Trajectoire de Réduction de l’Artificialisation, Concertée avec les Élus locaux.
Le ZAN alimente les débats, s’invite dans les journaux télévisés et impose une nouvelle priorité dans l’agenda public : préserver nos sols, une ressource aussi précieuse que limitée. Pourtant, si l’objectif poursuivi suscite un large consensus, sa mise en œuvre reste une gageure et nécessite de dépasser les blocages hérités du passé.
Pendant des décennies, l’étalement urbain a semblé une évidence pour accompagner la croissance de nos villes, petites ou moyennes, comme si la terre était sans fin. Aujourd’hui, ce modèle est remis en question face à une consommation foncière devenue excessive.
Le ZAN propose une rupture ambitieuse : réduire de moitié le rythme d’artificialisation d’ici 2031, puis interdire toute nouvelle urbanisation après 2050, sauf si elle s’accompagne de la renaturation d’espaces existants.
Ce changement peut inquiéter, car il remet en cause des pratiques qui ont la vie dure. Mais concrètement, le ZAN vise avant tout à réorienter les projets vers des friches industrielles, commerciale et des zones abandonnées ou sous-utilisées, tout en anticipant, à l’horizon 2050, la restitution à la nature des espaces dénués de potentiel ou d’usage.
durablement intégrée dans nos pratiques.
Au-delà des débats techniques sur la définition ou la mesure de l’artificialisation, le ZAN est un véritable levier de transformation. Il nous pousse à repenser nos modèles d’aménagement, à évaluer le foncier autrement que par des critères économiques, et à aligner nos choix collectifs sur les enjeux écologiques et nos aspirations futures. De ce point de vue, son objectif est déjà atteint.
Des outils inadaptés, des contentieux décourageants
Historiquement conçus pour accompagner la croissance rapide des villes, les outils réglementaires de l’urbanisme se révèlent toutefois inadaptés pour mettre en œuvre le ZAN.
Le permis d’aménager, héritier du permis de lotir (2007), reste un instrument principalement technique et administratif, axé sur la division de parcelles en lots constructibles. Confondu avec le permis de construire pour son instruction (via un même CERFA), il ne permet pas d’intégrer à l’échelle appropriée et de manière systématique les dimensions complexes de l’aménagement durable.
Les études d’impact environnementales, pourtant cruciales pour améliorer la qualité et l’acceptabilité des projets, sont encore perçues comme des contraintes administratives. Les autorisations qui en découlent – comme celles liées à la loi sur l’eau, au défrichement ou aux dérogations pour les espèces protégées – sont sources de multiples contentieux qui, en cascade, retardent les projets et amplifient l’incertitude juridique pour les porteurs de projets.
La distinction entre la ZAC (Zone d’Aménagement Concerté), d’initiative publique, et le permis d’aménager, d’initiative privée, apparaît dépassée, alors que seule une coopération renforcée entre acteurs publics et privés peut garantir des opérations cohérentes et inclusives… et gagner en temps et en efficacité.
La fiscalité locale n’est pas en reste. Les valeurs locatives cadastrales, qui servent d’assiette à la taxe foncière, restent déconnectées des réalités écologiques. De même, la taxe d’aménagement n’intègre aucune incitation en faveur des projets les plus vertueux.
Enfin, la rigidité des zonages – comme les secteurs AU, 1AU, 2AU – enferme encore trop les projets dans une logique d’extension urbaine. Ces zonages transforment les documents d’urbanisme en outils de prospection foncière et alimentent les contentieux administratifs dès que le potentiel des règlements est jugé mal exploité. Au final, ce ne sont plus les ambitions mais la jurisprudence et les positions du Conseil d’État qui dominent l’actualité.
Ces multiples limites – des outils réglementaires à la fiscalité en passant par les zonages – montrent que le modèle actuel est en bout de cycle. L’urbanisme de zonage touche à sa fin. Le PLU(i) est mort, vive le PLU(i) !
Des solutions à portée de main
Si certains outils montrent aujourd’hui leurs limites, d’autres innovations, managériales, réglementaires ou financières, ont ouvert des perspectives prometteuses.
L’ÉcoQuartier, lancé il y a plus de 20 ans, a tracé une voie exemplaire en matière d’aménagement durable. Bien plus qu’un label, il offre une méthode structurante, intégrant les dimensions économiques, sociales et environnementales dès la phase de réflexion des projets et tout au long de leur cycle de vie.
Dans le même esprit, l’approche HQE Aménagement propose un langage commun et un cadre opérationnel clair, plaçant le couple aménageur-collectivité au centre des opérations.
Introduites en 2014, les SEMOP (Sociétés d’Économie Mixte à Opération Unique) incarnent une avancée majeure dans la gouvernance. Avec leur actionnariat mixte public-privé, elles illustrent une coopération renforcée entre acteurs, progressivement devenue la norme.
Les permis d’aménager multisites, instaurés par la loi Élan (2018) et consolidés par la loi 3DS (2022), permettent de regrouper différentes opérations (habitat, commerce, mobilité, énergie…) en un projet global. Cette approche garantit une meilleure cohérence et renforce leur viabilité grâce à des mécanismes de péréquation globale : les bénéfices générés par certains aménagements peuvent ainsi être réaffectés à des projets abandonnés ou jamais envisagés, faute de moyens. Elle exige néanmoins une transparence accrue reposant sur le principe du bilan "ouvert", qui implique le partage des données financières entre les parties prenantes, un principe déjà promu par la démarche ÉcoQuartier.
Plus récemment, l’éligibilité des opérateurs privés aux subventions pour charges d’intérêt général, via le fonds friche (2021) et le fonds vert (2023), est venue marquer un véritable tournant. Ces subventions, auparavant réservées au secteur public, permettent désormais aux acteurs privés de se positionner sur des projets reconnus d’intérêt général majeur.
Couplées aux mécanismes de péréquation globale, elles dessinent les contours d’un nouveau modèle économique de l’aménagement, porteur de perspectives inédites. Un modèle qui appelle dès maintenant une réforme fiscale ambitieuse pour être parachevé, afin de renforcer les marges de manœuvre des collectivités et leur permettre d’orienter les investissements vers des projets plus durables, mixtes et inclusifs.
Ces innovations montrent que l’aménagement opérationnel et l’acte de construire, centrés par nature sur des projets spécifiques et opérationnels, peuvent désormais s’inscrire dans une planification écologique globale et prospective.
2026, le moment d’agir
Ce n’est pas tant le ZAN qui pose un problème en fin de compte, mais les transformations coordonnées qu’il exige dans nos pratiques d’aménagement. Cela signifie travailler différemment : transformer nos modes de gouvernance, nos méthodes de planification, et renforcer la coopération entre acteurs publics et privés.
Les délais de mise en œuvre, déjà ajustés, offrent aux collectivités une période d’adaptation précieuse. D’ici 2027, les SCoT devront intégrer une traduction stratégique et incarnée du ZAN, suivis en 2028 par les PLU et PLUi. Ce calendrier, bien que serré, constitue une fenêtre déterminante. Habituellement, les périodes électorales gèlent les projets ; cette fois, elles pourraient ouvrir la voie à des transitions ambitieuses et réussies. À chaque acteur de saisir cette opportunité.